… au mauvais moment

temps de lecture : 2 minutes 


La tension était à son comble. Le premier essai de voyage dans le temps était prévu dans quelques heures. La base secrète soviétique, située à quelque 100 km au nord de Kiev, s’agitait comme jamais. Les deux grands projets de l’URSS étaient mis en concurrence : la conquête du temps et de l’espace. Et Nikita Khrouchtchev suivait ça avec beaucoup d’amusement, mais réclamait des rapports hebdomadaires. Signe qu’il y avait derrière des enjeux colossaux.

L’ingénieur Orlov rédigeait son dernier rapport. Il annota la date du 25 avril 1956 et l’heure précise : 21h44. Il soupira. Ils avaient déjà plus de trois heures de retard sur le planning. L’ingénieur alla rendre une dernière visite au « pilote du temps ». D’après lui, un bien grand mot pour un abruti qui ne fera que s’asseoir dans un fauteuil.

— Salut Dimitri, comment allez-vous ?
— Bien, monsieur Orlov, bien.
— Voici mon dernier rapport, je vous en laisse une copie même si je sais que vous ne le lirez pas.
— Ils ne me sont pas destinés, répondit agressivement le pilote.
— Non, en effet, mais ça montre votre implication dans le projet… Enfin soit, je suis tout de même venu vous souhaiter bonne chance.
— Merci m’sieur, grommela-t-il. Je dois encore définir la distance du saut temporel. Avez-vous une préférence ? demanda l’ingénieur. Après une courte hésitation, le pilote répondit :
— Mettez pile 30 ans, j’ai fêté mon anniversaire hier soir.
— Qu’il en soit ainsi.

1h02. L’ingénieur se tenait dans le poste de commande, derrière les techniciens qui vérifiaient en boucle toutes les mesures de la capsule du temporelle.

« Cinq minute avant le lancement » résonnait dans le haut-parleur. Derrière la grande vitre du poste de commande se dressait la machine à voyager dans le temps. Une sorte d’obus difforme. Une machine d’ingénieur, loin des fantasmes qu’aurait imaginé grand public. Le pilote avait un pouls stable. Tous les capteurs étaient au vert.

5…4…3…2…1… le technicien en chef pressa le bouton. Une décharge électromagnétique secoua toute la base.

26 avril 1986. 1h23. A 100 km au nord de Kiev.
…la radiolyse de l’eau conduit à la formation d’un mélange détonant d’hydrogène et d’oxygène. En 3 à 5 secondes, la puissance du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl centuple.

Le pilote, un peu nauséeux, termine la procédure de sortie, enclenche l’écoutille d’ouverture avant d’avoir bien vérifier que la caméra tournait et commença à parler tout haut :

Quelques secondes pour un homme, mais des années pour l’hum…

Une violente explosion retentit, coupant le souffle du pilote. Les 1200 tonnes de la dalle de béton recouvrant le réacteur nucléaire sont projetées en l’air et retombent tels des projectiles sur le cœur du réacteur libérant un taux de radioactivité jamais atteint.

Premier contact

temps de lecture : 1 minute 


Cela faisait maintenant presque trente ans que Jacques gravitait autour de la Terre. Trente longues années, seul dans une station orbitale. Difficile de connaître avec précision à partir de quel moment il a été oublié. Ça s’est fait comme ça, l’air de rien, sans que personne ne s’en rende compte. Le contact qu’il entretenait avec la Terre était régulier mais espacé habituellement de quelques mois. Jacques n’était donc pas inquiet quand cinq mois s’étaient écoulés sans communication.

Ni après sept mois.
Ni après neuf mois.
Cela pouvait être normal. Disons plutôt que cela n’était pas anormal.

Mais au fur et à mesure que le temps passait, que les mois s’additionnaient pour former des années, Jacques était de plus en plus anxieux d’établir le contact. Comme gêné de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Se souviennent-ils encore de lui ? Qu’allait-on dire de lui?

Et plus le temps passait, plus la gène grandissait. Après quelques années, à laisser filer le temps et les occasions, il était complètement paralysé d’établir ce premier contact. Une anodine communication, comme tant d’autres avant elle, s’était transformée en un premier contact.

Trente ans maintenant à espérer qu’ils fassent le premier pas.
Trente ans à regarder l’émetteur, à être à l’affût du moindre petit grésillement que le haut-parleur produisait.

Trente ans de silence.

Il ne sait plus très bien s’ils l’ont oublié ou s’il s’est laissé oublier. Était-il le dernier survivant de l’espèce humaine? Pour le savoir, il lui suffirait d’enclencher l’émetteur et de parler dans le micro. Mais la gène s’est muée en peur : et si personne ne lui répondait ? Il serait alors seul pour l’éternité.

Et cette réponse le pétrifiait.

Donc il attendait. Seul. Presque trente ans maintenant…